Entretien exclusif : Mr Cool

Pour cet entretien, nous avions rendez-vous, Mr Cool et moi-même, sur la petite place de Marey-sur-Tille à 11h00 précise. Finalement, à 11h30, ce fut un autochtone élitique qui me conduisit jusqu'à sa magnifique demeure. Il m'ouvrit personnellement, vêtu d'une robe de chambre en soie, qui me semblait un peu courte. Après de courtoises présentations, il me fit entrer dans sa bibliothèque, ou régnaient deux fauteuil en cuir avec au milieu un petit guéridon, sur lequel étaient posées quelques Camel et un cendrier.

Tout d'abord Mr Cool, merci de me recevoir dans votre mas bourguignon.
Mais vous êtes ici chez vous, Mr Choubi.

En premier lieu, et par rapport au sujet qui nous concerne, pourquoi la France sous Giscard est elle une période particulière?
La France giscardienne voit se développer toutes sortes de bouleversements, des bouleversements sociétaux (IVG), des bouleversements musiquaux (Trust, le punk), etc. etc.

Et en quoi ces bouleversements sont issus de cette période? Est ce l'après 68? L'opposition croissante de la gauche? La personnalité de Giscard? La crise?
Vous avez raison de parler de mai 68. Voyez-vous, j'ai une théorie pas piquée des hanetons, et je vais la découvrir devant vous:
Les auteurs des bouleversements sont toujours les petits frères et petites soeurs des acteurs du dernier bouleversement. A quoi assistons nous en effet? he bien le punk est engendré par mai 68, tout comme la brit pop sera engendréé par le punk, et cette brit pop donnera naissance à la house etc etc.Voyez-vous Mr Choubi, les années giscardiennes sont bel et bien les années où tout devenait possible; attention, je n'ai pas dit: où tout était possible, parce que le Patron, avec son accordéon et ses gros yeux de crapaud décati, ben il nous cassait quand même bien les burnes.

Permettez moi d'être sceptique quand à la house engendrée par la brit pop. Elle vient plus de la techno de Detroit fin 80, qui elle même vient du disco et de la new wave, qui elle , bien évidemment vient du punk. Et nous retombons sur nos pattes. Mais nous nous éloignons. Qu'est ce qui determinait ces années? Le progrès ronronnant? Et en quoi la personnalité de Giscard était elle symbolique?
Ecoutez-moi bien, Mr Choubi, ce qui détermine ces années là semble tout juste le contraire de ce que vous appelez le "progrès ronronnant". En effet, ce qu'on observe est tout le contraire: des soulèvements, de l'utopie, dans les arts, dans la diffusion, dans les radios pirates etc. Ce qui détermine les années giscardiennes, c'est la révolution de l'expression. On prend la parole et on dit ce qu'on a à dire. Pensez à Drouillet, Trust, Libération etc.

Mais la censure existait, non?
La censure a toujours existé et existera. Elle existait sous Mitterand aussi...

Certes, et aujourd'hui encore, mais faites vous une différence entre l'utopie propres aux années 70 dans le monde occidentale, et cette France, le cul à cheval entre l'héritage de de Gaulle , accentué par le repli sur soi qu'occasionnait la crise, et cette perspective à s'ouvrir aux monde, aux nouvelles technologies et le fait d'avoir digéré mai 68, en bousculant l'ordre établi?
Selon moi, il s'agit bien du monde. Il faut que nous inversions notre système de valeur... ce n'est pas tant le monde qui change (bien évidemment il change!) mais notre perception de ce monde là. Nous ne portons pas le même regard à l'égard des années 60 (pourtant très très dures si l'on était du côté des ouvriers!) que sur les années 70 (bien moins dures pourtant : les accords de Grenelle étaient passés par là...)

Je pose la question autrement. Quelles différence faites vous entre cette France giscardienne, et celles de de Gaulle et de Mitterrand? Juste une transition?
La France, Mr Choubi, de de Gaule, était une France industrieuse. Avec Giscard, nous entrons dans une phase de consommation de masse (10 ans après les Etats-Unis). La France de Mitterrand verra l'apogée de la communication/vente, bref, du marketing. Je ne crois pas à la transition. Ce en quoi je crois, c'est en la transformation... Le temps lui-même transforme les choses, le temps corrompt.

Qu'est ce qui pour vous symbolise ces transformations? Pour moi, ce qui peut symboliser cette période si particuliere , en culture du moins, c'est le cinéma des Labro et autres Verneuil. Soit une copie d'un style US aux normes francaises. Une vision plus dynamiques de l'architecture, du rythme, des thèmes, mais avec une dramaturgie très francaise. Sans risque, en somme.
Les symboles de transformation se trouvent dans la culture de l'homme, alors oui, vous avez raison de citer cette petite punaise réactionnaire de Labro, mais je ne suis pas aussi calé que vous, Mr Choubi, pour discourir de l'esthétique labrosienne...

Ce n'est pas si dur, je vous apprendrai. Ce que je veux dire, c'est que cette période ce caractérise par cette dualité, l'ouverture et le conservatisme.
Mais ne croyez-vous pas que nous pouvons dire la même chose de notre époque? Seulement, les rôles sont inversés, les gauchistes deviennent réactionnaires et conservateurs (avantages sociaux oblige) tandis que les libéraux sont dans le changement et l'ouverture...

C'est à ce moment prècis que le cousin de Mr Cool sonna à la porte, mettant un terme à cet entretien fort interressant. S'ensuivi quelques politesses, une lecture de poésie contemporaine, et après 3 bouteilles de vin espagnol, je décidai de prendre congé, les laissant disserter sur Nicolas Anelka, et si oui ou non, il ne ferait pas mieux de signer à Marseille.